lundi 14 juillet 2008

Eric Rémès ou le flair du Rootweiler

Le fait divers, monde du sexe, de la violence et de la mort ne pouvait être qu'une source d'inspiration pour un auteur comme Eric Rémès qui estime indispensable, si bien sûr on aspire un tant soit peu à atteindre à la dignité de l'écrivain maudit, transgressif et donc forcément moderne, de nous faire partager ses galipettes sur le sol gluant de sperme d'une cabine privée d'un sex shop. Il est vrai qu'à une époque de pornographie généralisée et accessible à tous, la littérature, pourtant longtemps considérée comme lieu d'une opposition à la doxa commune, se doit désormais elle aussi de participer à cette propagation massive et nous pouvons compter sur Eric Rémès pour suivre ce mouvement qui, si du temps de Sade ou de Verlaine violait les conventions et la morale, doit aujourd'hui décevoir des lecteurs depuis longtemps habitués aux pouvoirs d'évocation bien plus érogènes des images et de la vidéo. Mais peut être conviendrait il d'informer Eric Rémès, ainsi que G. Sebhan par la même occasion, de la levée depuis près de 40 ans de l'interdiction sur la vente de produits à caractère pornographique ?
Se voulant donc au plus près des réalités de ces vilaines sociétés contemporaines qui sous des dehors de respectables états providences cachent une barbarie implacable et enfantent des monstres sociopathes (ce que Eric Rémès en segmentant son discours afin que le lecteur puisse mieux goûter la puissance novatrice de son analyse de la civilisation consumériste désigne par : "(...) une société basée sur l'argent . Où l'on existe par ce que l'on a. Pas parce que l'on est". On notera au passage qu'il serait calomnieux de dire qu'Eric Rémès ne maîtrise pas les auxiliaires être et avoir") ; et
aussi sans doute parce que le fait divers fournit non seulement des personnages et une intrigue à un auteur en panne d'inspiration mais racole aussi des lecteurs avides de sanglant pour un auteur en panne de fonds, Eric Rémès s'est emparé d'un récent crime sordide comme sujet de son prochain livre : Barbare. Passons rapidement sur ce triste évènement, une bande de petites crapules antisémites kidnappent, séquestrent, torturent et finalement assassinent un jeune vendeur en téléphonie de confession juive, pour nous intéresser à l'exploitation littéraire qu'en fait notre écrivain sexologue. Dans un prodigieux effort stylistique pour rendre compte de la phraséologie d'une petite frappe quasi analphabète, l'auteur aligne les phrases courtes, nominales ou verbales, rarement les deux, et tout à son objectif de donner une image frappante et réaliste d'une jeunesse décérébrée ne s'empêtre pas de figure mais préfère puiser dans un vocabulaire des rues, un parler banlieue qui ferait tordre de rire n'importe quel collégien d'aujourd'hui et renvoyant plutôt à l'imaginaire figé d'un auteur voulant se donner des airs d'expert en sociologie des périphéries urbaines qu'à une quelconque réalité sociale. La fonction du personnage illettré doit participer à la quête d'authenticité liant le fond à la forme, mal écrire pour écrire le mal, et doit aussi se révéler bien pratique, ça évite de devoir faire de la littérature. Inutile de chercher, vous ne trouverez ni métaphore, ni synecdoque, ni même une quelconque image ou comparaison, ce qui me direz vous reste cohérent avec le profil de ce meneur de bande. Cela devient un peu plus dérangeant lorsque le narrateur censé établir les causalités d'un fait divers à la logique qui ne trouble que l'auteur, manifeste sa présence par un discours aussi pauvre que celui du personnage qu'il est censé devoir cerner. Dans une alternance polyphonique vertigineuse, on est alors plongé dans les profondeurs d'un dialogue que le narrateur engage avec son personnage. En effet, l'auteur a flairé le pouvoir d'investigation et de révélation de la littérature et parti en chasse, il est bien décidé à suivre la piste et faire la lumière sur les motivations profondes de son personnage : "Je pense à toi en permanence, Barbare. Je te regarde agir. Peu à peu, tu rentres dans mon esprit. Me captive. Me passionne. Et plus je t’observe faire et plus j’ai du mal à te comprendre. Du mal à saisir tes motivations. Qu’est-ce qui te pousse à agir ainsi ? Pourquoi cet enlèvement ? Le fric ? L’envie de jouer ? L’ennui ? Une provocation ? Ta vie est pourtant bien organisée, entre deals, zone et magouilles. Tu n’as pas besoin d’argent. Alors pourquoi ? Pourquoi ce rapt alors que tu risques si gros ? Justement parce que c’est dangereux ? C’est à cette énigme que je veux aujourd’hui me vouer corps et âme. C’est à ta compréhension, Barbare, que j’aspire. Mais n’est-ce pas une tache utopique ? Peut-être n’y a-t-il rien à comprendre. Tout cela est-il bien réel ? Ne sommes nous pas embringués dans une grande illusion ? Et pourtant oui, tout cela existe bien et se déroule exactement en février 2006. Oui, réel."
Ce questionnement du narrateur face à son personnage est évidemment justifié, tant les mobiles d'un enlèvement avec demande de rançon sont, tout bon enquêteur vous le dira, particulièrement difficiles à établir : l'argent, le jeu, l'ennui, la provocation, auxquels on pourrait aussi ajouter afin de participer à l'enquête, le crime passionnel ? le sacrifice rituel ? voire même, qui sait, l'espionnage industriel ou encore la légitime défense ? Ces interrogations finissent par échauffer les sens du narrateur qui dans une remise en cause radicale par laquelle il rejoint les grandes perspectives baroques s'en vient à douter de la réalité même du monde, et oui, et si tout cela n'était qu'un rêve, hein ? malheureusement non, ce livre existe bel et bien.

Mais le flair du narrateur n'a pas d'équivalence pour détecter les miasmes signifiants au fond des caniveaux et c'est avec force battements de queue et aboiements, mais sans aucune crainte d'une incohérence flagrante, qu'il nous indique quelques paragraphes plus loin que sa plongée dans l'intimité secrète du meneur de la bande a porté ses fruits et qu'il peut nous rapporter fièrement la balle :"Je commence à t’appréhender, Barbare. « Devenir riche, ou mourir en essayant », tu as fait tienne la devise du rappeur « 50 cent ». Tu es totalement obsédé par l’argent, Barbare. Sa puissance, son pouvoir. Son érotisme et sa puissance sexuelle."

L'auteur, dans son refus des conventions a préféré sans doute mettre rapidement fin à ce procédé de dramatisation si conventionnel qu'est le suspens, l'enjeu de ce roman moderne est ailleurs voyons...Où ça ?

Rémès a, dans un geste de rébellion face à tous ces préjugés littéraires, non seulement refusé l'utilisation d'une quelconque figure de style ou de procédé narratif mais il a aussi pris parti de ne pas intégrer à son récit des motifs qui pourraient nuancer le sens du roman, des références qui feraient apparaître des relations inter textuelles, des jeux d'échos et de miroirs qui transformeraient le fait divers en un mythe. Non, Rémès refuse tous ces subterfuges qui permettent de dépasser la forme journalistique, notre écrivain est dans le réel, le vrai, celui de la rubrique des chiens écrasés.




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